Interview avec Philippe L. Pereira, Président du CIRSE
Propos recueillis par Vincent Vidal

Vincent Vidal : Notoriété – Comment expliquez-vous que 75 % des radiologues interventionnels français connaissent le CIRSE, mais qu’une majorité n’ont jamais assisté à son congrès ?
Philippe L. Pereira : Je suppose que vous faites référence à une enquête menée récemment par la SFR-FRI et pour laquelle 145 réponses ont été recueillies au total. De ce fait, je voudrais mettre en perspective la représentativité et le poids statistique des conclusions que vous en avez tirées, et qui ne sont pas tout à fait correctes à mon avis. Généralement, nous voyons une participation très bonne de la part des délégués français aux évènements organisés par le CIRSE. Nous comptons plus de 3,200 professionnels de santé français dans notre base de données, qui ont pris part à un ou plusieurs événements de notre société ces dernières années. En septembre dernier, nous avons accueillis près de 300 professionnels de santé français au congrès annuel du CIRSE à Barcelone, et ce chiffre n’inclut pas nos autres événements de l’année, comme l’ECIO, l’ET ou les cours de l’ESIR (École Européenne de Radiologie Interventionnelle). Je souhaite souligner ici que de nombreux délégués français paient un tarif d’inscription plus élevé pour pouvoir participer à ces évènements, faute de s’inscrire au CIRSE via l’adhésion en groupe de la SFR-FRI d’un montant de 95€ par an. En tant que membre, ils pourraient bénéficier de frais d’inscription très avantageux.
Adhésion – L’absence de visibilité dans la pratique quotidienne est citée comme frein principal (51 %). Quelles actions concrètes le CIRSE met en œuvre dans ce sens-là ?
En 2023, nous avons lancé la Vision du CIRSE pour l’avenir de la RI avec trois priorités. La première est consacrée aux services cliniques et aux soins aux patients. Ainsi un large éventail de projets éducatifs et de sensibilisation a été développé en ce sens. Nous sommes convaincus que les radiologues interventionnels doivent s'impliquer davantage et participer directement aux soins et à la prise en charge des patients incluant leur suivi, et ainsi donc pas seulement aux aspects procéduraux. D’après nous, ceci sera le facteur déterminant pour accroître la visibilité de la radiologie interventionnelle en même temps que la visibilité des radiologues interventionnels.
Cotisation – Le coût de l’adhésion et celui du congrès restent des obstacles importants. Quelle est votre politique tarifaire adaptée aux jeunes RI ou aux pays membres spécifiques comme la France ?
Les membres de la SFR-FRI peuvent rejoindre la société CIRSE pour seulement 95€ par an. Tous les membres bénéficient ainsi de tarifs très réduits pour tous les événements organisés par le CIRSE, en plus d’une très large offre éducative en ligne. Pour les radiologues et les RI en formation, nous avons créé la catégorie des membres juniors du CIRSE. Si ces jeunes RI soumettent un abstract pour le congrès annuel du CIRSE, nous leur offrons l'inscription gratuite au congrès, que leur abstract soit accepté ou non. Alors réfléchissons, est-ce que 95€ par an pour bénéficier de tout notre offre éducationnelle et le congrès annuel représentent vraiment un réel obstacle ?

Congrès CIRSE – Beaucoup de radiologues privilégient des congrès français (43 %). Comment le CIRSE peut-il rendre son congrès plus attractif pour un public francophone ?
Comme mentionnée précédemment, nos congrès suscitent un vif intérêt de la part de la communauté francophone. De mon point de vue, la participation à des événements nationaux comme les JFR est importante, tout autant que la participation à des événements européens, et l’un n’empêche pas l’autre. L’échange de connaissances et la recherche en RI dépassent largement les frontières, et se font aujourd’hui avant tout en anglais. Sans jugement aucun, je suis certain que tous les jeunes RI français et donc européens maîtrisent cette langue suffisamment pour pouvoir participer au débat scientifique international et profiter des échanges.
Dans l’enquête menée par la SFR, deux tiers des participants ont répondu qu’ils ne participent jamais ou très rarement (moins d’une fois par an) à un congrès international. Cela m’a beaucoup surpris, et j’espère que cela est dû à la participation limitée à l’enquête. J’encourage vivement tous mes collègues français à participer aussi aux événements internationaux, qui permettent un enrichissement immense professionnel et personnel, et aussi la création d’un réseau de contacts plus large.
Représentation nationale – Seulement 42 % des répondants voient une meilleure représentation française comme levier d’adhésion. Comment renforcer la place de la France au sein du CIRSE ?
A mon avis, il s’agit plutôt d’une question à poser à la direction de la SFR-FRI. Y-a-t-il un intérêt à ce que la RI française soit mieux intégrée à l’échelle européenne et y joue un rôle important ? De notre côté, nous espérons étant donnée l’importance de la RI française que cela sera le cas, et se traduira par des opportunités concrètes de collaboration et une meilleure intégration des membres de la SFR-FRI au CIRSE. Les sociétés nationales de RI qui s’engagent activement dans le CIRSE peuvent témoigner d’esprit de communauté qui y règne.

Formation et innovation – Les répondants valorisent surtout les techniques innovantes (69 %) et les workshops pratiques (68 %). Est-ce que le CIRSE répond à ces attentes ?
Le CIRSE propose une très large gamme de formations pratiques. Tout d’abord, l’ESIR organise chaque année plus de 12 cours pratiques dans divers hôpitaux européens. Quatre d’entre eux se déroulent chaque année en France. Lors du congrès annuel de 2025, nous avons organisé un village de formations pratiques avec 78 sessions couvrant tous les aspects de la RI ainsi que des sessions de simulation, de sédation sécurisée et un GI lab. En outre, nos évènements offrent des expériences pratiques dédiés aux RI en formation et aux étudiants en médecine. Depuis 2024, le congrès CIRSE comprend aussi le SPHAIRE, avec une exposition et un programme dédiés à l’intelligence artificielle et aux autres technologies de pointe en radiologie interventionnelle. Enfin, la famille des journaux scientifiques du CIRSE est constituée de la revue de référence en RI, CVIR, ainsi que deux nouvelles éditions en libre accès : CVIR Endovascular et CVIR Oncology. Elles permettent à la communauté de se tenir au courant des derniers développements en matière de recherche et d’innovation.
Renforcement de la vision des RI français au sein de l’Europe – L’une des forces perçues est l’opportunité de collaboration internationale (31 %). Quels projets ou partenariats franco-européens concrets sont en cours ou en développement ?
Je suis convaincu que la collaboration commence par l’engagement. Ce qui fait la force du CIRSE sont les collaborations et les partenariats durables avec les sociétés nationales et internationales, mettant en commun leur expertise pour faire progresser la RI dans le monde. Plusieurs radiologues interventionnels français contribuent de manière significative aux projets et au succès du CIRSE pour la RI, grâce à leurs connaissances et leur dévouement. Cependant, pour de nombreux collègues français, nous constatons que les engagements cliniques ou privés semblent passer en priorité par rapport à l’implication au niveau européen.
Un exemple concret et très réussi est CIRT-FR, une étude observationnelle post-commercialisation sur les tumeurs hépatiques primaires et secondaires traitées par radioembolisation (TARE) avec les SIR-Spheres en France. CIRT-FR était une étude menée par le CIRSE et par Next Research, notre organisme de recherche sous contrat (CRO). Cette étude a conduit au renouvellement du remboursement des SIR-Spheres pour le carcinome hépatocellulaire (CHC) et pour les métastases hépatiques colorectales (CRLM) en France pour cinq années supplémentaires.
Un autre exemple est BOREALIS, une étude prospective, multicentrique, observationnelle, qui vise à renforcer la base de données scientifiques sur l’ablation cryo des métastases osseuses. Dans cette étude, également menée par le CIRSE et Next Research, plusieurs hôpitaux français recrutent déjà des patients.
Dans le domaine de l’accréditation, on observe une bonne adoption d’IASIOS, le Système International d’Accréditation des Services d’Oncologie Interventionnelle. Avec déjà cinq centres inscrits, la France fait partie des pays pionniers. De plus, le CHU de Strasbourg a été le premier Centre d’Excellence IASIOS.
Nous souhaitons renforcer la collaboration en ce qui concerne l’EBIR (examen européen de RI), et aimerions inviter la SFR-FRI ainsi que la SFICV à collaborer avec nous sur une éventuelle version française, ainsi que sur une adoption plus large de l’EBIR par la nouvelle génération de radiologues interventionnels français. Soutenir l’EBIR renforce l’impact de la RI au niveau national et international.

Engagement des jeunes RI – Comment le CIRSE peut-il attirer la nouvelle génération de radiologues interventionnels, qui recherche des formations pratiques et un networking efficace ?
Le CIRSE investit des ressources significatives dans l’implication de la prochaine génération des radiologues interventionnels. Notre programme étudiant permet une première exposition des étudiants en médecine à la RI, offre des bourses de voyage, la participation gratuite à tous nos congrès et un programme spécial étudiants sur place, incluant des workshops, des sessions pratiques et des conseils en orientation professionnelle. Le European Trainee Forum (ETF) représente les RI en formation et les jeunes RI au sein du CIRSE, et organise des activités éducatives, des bourses et du networking tout au long de l’année. Enfin, le CIRSE Fellowship Grant Programme attribue des bourses à de jeunes radiologues interventionnels souhaitant acquérir une expérience pratique dans des centres européens de référence CIRSE.
Vision à long terme – Quelle est votre vision pour le rôle du CIRSE dans l’évolution de la radiologie interventionnelle en Europe et spécifiquement en France ?
La Vision du CIRSE pour l’avenir de la RI a été présentée en 2023 afin de faire progresser la RI à travers l’Europe. Elle repose sur trois piliers : les services cliniques et les soins aux patients, un accent mis sur les thérapies et traitements en radiologie interventionnelle, ainsi que la formation et l’excellence. Elle souligne également la nécessité de renforcer la visibilité de la radiologie interventionnelle et de faire évoluer les mentalités à son égard en Europe. Nous mettons beaucoup d’effort dans la réalisation de cette vision. Le groupe de travail sur les services cliniques en radiologie interventionnelle a créé un large portfolio, disponible via www.cirse.org/clinicalservices Le second groupe de travail, lancé récemment, compte également un Français parmi ses membres et développera des projets priorisant les traitements et thérapies.
À travers nos European IR Leadership Meetings, organisés depuis 2024 par le CIRSE avec les présidents des sociétés nationales de radiologie interventionnelle, cette vision a reçu un large soutien de l’ensemble des sociétés nationales européennes. Ces rencontres permettent également au CIRSE d’encourager les échanges essentiels entre les sociétés nationales, qui font face à des défis similaires, et de soutenir la croissance de la RI en proposant un accompagnement adapté aux besoins spécifiques de chaque société.
Nous espérons que notre collaboration avec la SFR-FRI et la SFICV se renforcera et débouchera sur de nombreux projets ambitieux pour faire progresser ensemble la radiologie interventionnelle en Europe et globalement En guise de première étape, nous espérons que la FRI verra croître son nombre d’adhérents et que nous pourrons bientôt accueillir un grand nombre de radiologues interventionnels français au sein du CIRSE.