Séquençage de l’exome ou du génome et données additionnelles : quels enjeux pour la génétique médicale ?

L’objectif de la prescription médicale du séquençage de génome est d’identifier la maladie d’un patient ( diagnostic primaire). Cependant, les données disponibles, peuvent également permettre d’identifier des anomalies moléculaires sans lien avec l’indication initiale, appelées données additionnelles. Celles-ci sont classées en données incidentes, de découverte fortuite, et données secondaires, recherchées systématiquement sur une liste de gènes dits « actionnables ». Concernant les données incidentes, il serait techniquement possible d’utiliser des filtres d’analyse afin de circonscrire leur identification.
Cependant, le plus souvent, le premier filtre d’interprétation utilisé répertorie tous les variants déjà recensés comme pathogène ou probablement pathogène dans les gènes connus pour être responsables d’une (ou plusieurs) maladie monogénique en pathologie humaine, indépendamment de l’indication initiale.
À l’heure actuelle en France, lors de la prescription médicale d’un séquençage du génome, dans le cadre du plan France Médecine Génomique, les patients et leurs apparentés sont informés que seules les variants pathogènes en lien avec l’indication initiale leurs seront transmis. La révision des lois de bioéthique, qui a été établie en août 2021, remet cette attitude en cause puisque la loi (Art 16-10 du code civil) indique « la possibilité que l'examen révèle incidemment des caractéristiques génétiques sans relation avec son indication initiale ou avec son objectif initial, mais dont la connaissance permettrait à la personne ou aux membres de sa famille de bénéficier de mesures de prévention, y compris de conseil en génétique, ou de soins ».
Cette évolution législative soulève de multiples questions.
Pour tout examen génétique, la loi stipule que le patient (ou ses parents ou son représentant légal) doit signer un consentement dit « éclairé », attestant qu’il a compris les enjeux de l’examen et qu’il y consent. Les explications préalables au séquençage d’exome ou de génome sont déjà complexe.
En cas de rendu de données additionnelles, les explications aux patients seront encore complexifiées et il paraît très difficile, voire impossible, de garantir une information appropriée, qui plus est dans le temps imparti à une seule consultation médicale. Comme pour tout examen pan-génomique, la question de l’interprétation des variants incidents sera cruciale.
Le biologiste responsable de l’analyse du diagnostic primaire risque d’être en difficulté puisque la plupart des nombreux gènes à étudier seront en dehors de son domaine d’expertise. Par ailleurs, le risque d’erreurs d’interprétation de variants est majoré dans le contexte des données incidentes, en raison de l’absence de de signes cliniques en rapport avec ces variations chez le patient ou des apparentés.[6]
Si on considère l’intérêt de l’individu, les données incidentes pertinentes correspondraient aux gènes considérés comme actionnables, c’est-à-dire des gènes pour lesquels la présence d’un variant pathogène expose le patient à un risque de maladie, de révélation plus ou moins tardive, accessible à une prévention primaire ou secondaire. Le caractère actionnable de certains gènes est discutable, en particulier dans ce contexte, du fait du défaut de pénétrance ou de la variabilité d’expression.
L’information sur certaines données incidentes risque donc de créer une nouvelle catégorie de « patients en devenir », dont certains ne développeront aucun des signes prédits et attendus. En aval, la question des modalités et de la temporalité de la restitution de ces données se pose. Faut-il annoncer des données incidentes en même temps que le diagnostic primaire (ou l’absence de diagnostic primaire), déjà souvent très difficile à entendre ou dissocier les annonces ?La situation semble encore plus complexe en période prénatale.
Enfin, l’identification d’un variant considéré comme probablement pathogène ou pathogène va nécessiter de recourir à un réseau de prise en charge d’aval avec des soignants compétents disposés à informer et à prendre en charge des personnes non malades. Ce réseau n’existe pas, et cette prise en charge est actuellement très mal codifiée.
Le rendu de telles données incidentes équivaudra à un diagnostic pré-symptomatique fortuit, non préparé, et, de plus, sans que la maladie soit préalablement connue dans la famille. Cette attitude échapperait alors à l’encadrement légal existant (Arrêté du 27 mai 2013(1)). De plus, certaines situations, comme la restitution chez des mineurs de variations pour lesquelles il n’existe pas de bénéfice médical, se trouveront même en contradiction avec l’encadrement légal existant.
(1) Arrêté définissant les règles de bonnes pratiques applicables à l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne à des fins médicales. https ://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000027513617.
De façon générale, ce changement législatif, qui, de facto, sous-entend un intérêt à dépister toute variation motivant un conseil génétique, donc toute variation pathogène, ne va concerner, pour le moment, qu’une petite partie de la population générale, celle des patients suspects d’une maladie génétique monogénique et/ou leurs apparentés.
S’il existe un intérêt médical réel, ce dépistage « opportuniste » devrait s’étendre à la population générale avec des moyens dédiés et un parcours clarifié. Prendre soin ne signifie pas tout dire, ni « tout savoir » alors que nos connaissances du génome humain ne sont que parcellaires et mouvantes, et que la santé d’un individu ne dépend pas seulement de son génome.
Références
[1] Miller DT, Lee K, Abul-Husn NS, et al. ACMG SF v3.1 list for reporting of secondary findings in clinical exome and genome sequencing: A policy statement of the American College of Medical Genetics and Genomics (ACMG). Genet Med 2022 ; 24 : 1407-14.
[2] de Wert G, Dondorp W, Clarke A, et al. Opportunistic genomic screening. Recommendations of the European Society of Human Genetics. Eur J Hum Genet 2021 ; 29 : 365-77.
[3] Agence de la biomédecine. Projet de recommandations de bonnes pratiques professionnelles en matière de gestion des résultats d’un examen de séquençage pangénomique sans relation directe avec l’indication initiale dans le cadre du soin. 2020.
https://www.agence biomedecine.fr/IMG/pdf/20200107_rbp_donnees_additionnelles_dv.pdf
[4] Cogné B, Jury J, Blanc P, et al. Données incidentes : résultats de l’analyse de 30 génomes. Communication affichée ; Assises de génétique humaine, Paris, janvier 2024.
[5] Binquet C, Lejeune C, Faivre L, et al. Genome Sequencing for Genetics Diagnosis of Patients With Intellectual Disability: The DEFIDIAG Study. Front Genet 2022 ; 12 : 766964.
[6] Manrai AK, Funke BH, Rehm HL, et al. Genetic Misdiagnoses and the Potential for Health Disparities. N Engl J Med 2016 ; 375 : 655-65.
[7] Lahlou-Laforêt K, Consoli SM, Jeunemaitre X, et al. Presymptomatic genetic testing in minors at risk of paraganglioma and pheochromocytoma: our experience of oncogenetic multidisciplinary consultation. Horm Metab Res 2012 ; 44 : 354-8.
[8] Jensson BO, Arnadottir GA, Katrinardottir H, et al. Actionable Genotypes and Their Association with Life Span in Iceland. N Engl J Med 2023 ; 389 :1741-52.
Bertrand Isidor (Service de génétique médicale, unité de génétique clinique, CHU de Nantes , Nantes)
Jeanne Amiel (Service de génétique médicale, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris)
Delphine Héron (Service de génétique médicale, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris)