Radiogériatrie : changer de regard, adapter nos pratiques

Alors que la population vieillit rapidement, la radiologie doit s’adapter aux besoins spécifiques des patients âgés. C’est tout l’enjeu du groupe SFR-Gériatrie : réunir radiologues, gériatres et professionnels du grand âge pour mieux comprendre, diagnostiquer et accompagner ces patients complexes. Entre défis cliniques, pertinence des examens et accès aux modalités adaptées, la radiologie gériatrique redéfinit les pratiques et ouvre de nouvelles perspectives, à l’hôpital comme en ville.

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Q - Pourriez-vous nous présenter le groupe SFR-Gériatrie ?

C’est un groupe transversal et pluridisciplinaire qui réunit des radiologues et des gériatres, mais également d’autres professionnels engagés dans le champ du grand âge, des sociologues, des éthiciens… Il s’adresse ainsi à tous ceux qui, au-delà des spécialités médicales, s’intéressent aux enjeux spécifiques du vieillissement de la population. La richesse du groupe repose sur cette diversité de regards et de compétences au service d’une meilleure compréhension et prise en soins des patients âgés.

Q - Mais qu’est-ce qu’un patient âgé ?

Il n’y a pas de définition ! Le vieillissement humain est un processus hétérogène difficile à caractériser et n’est pas forcément lié au temps chronologique. La limite communément admise est de 75 ans (HAS), mais l’âge moyen auquel nous rencontrons des patients au profil gériatrique (polypathologies, perte d’autonomie…), est de 85 ans (DREES). 

 

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Q - Qu’est-ce qui a éveillé votre intérêt pour la gériatrie dans le domaine de la radiologie ?

Le dialogue avec nos collègues gériatres qui nous ont fait part des difficultés d’accès à l’imagerie pour leurs patients âgés ou très âgés, plus particulièrement à l’imagerie en coupe, scanner et IRM. C’est le questionnement sur le choix des modalités et leur pertinence en gériatrie qui est à l’origine de la création du groupe SFR-Gériatrie en 2016 par le Pr Alain Rahmouni, dont nous saluons la mémoire : fallait-il des recommandations spécifiques en imagerie pour les patients qui relèvent de la gériatrie ?

Q - Comment avez-vous pu répondre à cette question ?

Nous avons listé les situations cliniques les plus fréquemment rencontrées en gériatrie pour analyser, en regard de ces situations, les recommandations que nous pourrions formuler. Des équipes de travail réunissant radiologues et gériatres ont été constituées, selon les domaines de compétence de chacun.
Il est ressorti de ce travail que l’imagerie en coupe, au premier rang desquels le scanner, doit être proposée en première intention pour répondre aux questions les plus souvent exprimées en gériatrie.
Ces recommandations ont été intégrées dans le guide de référence d’appui à la demande des examens de radiologie et d’imagerie médicale (ADERIM : https://aderim.radiologie.fr).

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L’ADERIM ou Aide à la Demande des Examens de Radiologie et d’Imagerie Médicale est porté par la Société Française de Radiologie. Il s’est construit comme une évolution du Guide du Bon Usage des examens d’imagerie médicale, porté suivant une méthodologie HAS. L’ADERIM a été co-construit par des médecins radiologues et des médecins généralistes, sous la coordination du Pr Anne Cotten, radiologue au sein de la SFR. Le guide est en accès libre : https://aderim.radiologie.fr.
 

Ce guide fonctionne avec trois portes d’entrée possibles : « motif de consultation », « pathologie », « mot-clé ». Il n’y a pas d’item dédié à la gériatrie, mais dans les situations plus particulièrement rencontrées en gériatrie il y a des recommandations spécifiques. Citons par exemple « l’aggravation de l’état général », « la confusion », etc.
 

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Q - Restent-il des indications pour l’imagerie de projection et l’échographie ?

L’imagerie de projection et l’échographie conservent des indications, mais ce sont des examens qui ont la réputation d’être simples et ne le sont pas toujours, et qui bien souvent sont peu ou pas contributifs, avec pour conséquence une perte de temps, d’où la notion en imagerie gériatrique « d’examen de substitution », pour orienter d’emblée vers le ou les examens les plus contributifs :

Des exemples ?

  • En traumatologie :
    • Les difficultés de mobilisation du patient peuvent rendre la réalisation des examens d’imagerie extrêmement difficile voire impraticable
    • La déminéralisation osseuse fréquente gêne la lecture des radiographies avec des difficultés de détection de certaines fractures
    • Ainsi un scanner du bassin, par exemple, permet une meilleure détection des fractures et du suivi après traitement
  • Thorax : les clichés pris assis ou couchés sont très souvent peu ou pas contributifs
  • Scanner cérébral : que nous utilisons en cas de symptomatologie atypique pour guider vers l’IRM ou non. L’IRM reste l’examen de référence, mais peut s’avérer impraticable (durée de l’examen, tremblements).
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Q - Existe-t-il des protocoles et des grilles de lecture spécifiques de vos examens d’imagerie pour les patients âgés par rapport aux patients plus jeunes ?

Les protocoles d’examen et les grilles de lecture sont les mêmes pour les patients âgés que pour les patients plus jeunes, dans l’immense majorité des cas, avec quelques nuances.

Ainsi, une adaptation est nécessaire, liée essentiellement :

  • à la fragilité des patients âgés (insuffisance rénale fréquente)
  • à de nombreux artefacts liés au vieillissement des différents organes et systèmes, et des prothèses ou autres corps étrangers
    D’ailleurs, les « modifications physiologiques » liées au vieillissement peuvent parfois poser problème : une image anormale est-elle pathologique ou liée aux phénomènes de vieillissement ?
    Quant aux précautions à prendre lors de l’utilisation des produits de contraste, il faut retenir que l’âge n’est pas un facteur de risque isolé de maladie rénale induite par les produits de contraste (Gupta et al. AJR 2023), et qu’il faut considérer les patients gériatriques comme des personnes adultes « standard » avec certes certaines fragilités, et nous référer aux recommandations actualisées du CIRTACI (https://www.radiologie.fr/fiche-recommandation-cirtacisfr-rein-et-produits-contraste) mises à jour par le Dr P. Coquel et le Pr Olivier Clément et dédiées à la gestion des produits de contraste.
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Q - Quels sont les enjeux de la radio-gériatrie ? 

Nous en identifions 3 :

1°) Un enjeu médical
Les présentations cliniques des patients âgés sont très particulières et compliquent les orientations diagnostiques : la pauci-symptomatologie est fréquente, ainsi que les présentations atypiques voire trompeuses.
Par exemple : il peut y avoir des infections sans fièvre (immunosénescence), une péritonite sans douleur et sans contracture abdominale (sarcopénie). Il existe parfois des symptômes d’emprunt : par exemple une anémie révélée par un syndrome coronaire aigu, une hypoglycémie révélée par une hémiplégie… Ou des symptômes « fourre-tout » : altération de l’état général, syndrome confusionnel qui peut témoigner d’une infection, d’une rétention urinaire… 
Bref, ce sont autant de pièges diagnostiques, associés très souvent à une polypathologie et des intrications multiples à l’origine de patients complexes. Et la prise en soins d’une pathologie identifiée pour laquelle il est besoin d’un avis de cliniciens d’autres spécialités est souvent perturbée par la polypathologie et la polymédication. Sans oublier qu’il y a des pathologies propres aux patients âgés : chutes, troubles cognitifs, perte d’autonomie…

2°) Un enjeu de l’organisation des soins :
Selon les dernières statistiques, 10 % des 75 ans et plus et 30 % environ des 90 ans et plus vivent en établissement : le maintien à domicile est donc la règle et tous les modes d’exercice de la radiologie peuvent être mobilisés, en exercice libéral ou hospitalier. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-07/er1237.pdf.

Notre rôle de radiologues est d’apporter l’expertise au bon moment et au bon endroit, ce qui peut s’avérer compliqué lorsque l’on sait que bien souvent les équipements radiologiques des sites à forte activité gériatrique le sont « a minima » avec un équipement d’imagerie de projection et un échographe. Nous avons proposé deux pistes pour remédier aux difficultés d’accès : équiper ces services de scanner voire d’IRM et/ou établir des circuits qui permettent de garantir et sécuriser un accès à cette imagerie de coupe.

Un autre sujet mérite notre attention : les services d’urgences. Les patients âgés y sont surreprésentés alors que ce passage aux urgences est parfois motivé par un besoin d’imagerie. Plus de la moitié des séjours hospitaliers démarrent par un passage aux urgences contre 20 % pour la population générale. Or il existe un risque de dépendance iatrogène de l’hospitalisation avec une aggravation possible de l’état de base qui n’est pas sans conséquence sur le système de santé au global et l’organisation des soins. D’où le « pacte 5 » de la refondation des urgences en 2019 qui propose un parcours de soins dédié aux patients âgés pour éviter le passage aux urgences. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2025-03/ER%201334%20Urgences_EMB.pdf

3°) Un enjeu sociétal
Être au rendez-vous du vieillissement de la population. Car aujourd’hui les plus de 75 ans représentent une personne sur 10 en France et, si les projections de l’INSEE se confirment, ce chiffre sera multiplié par 2 en 2070.

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Q - Quelle est la place de la radiologie interventionnelle (RI) en gériatrie ?

La RI occupe une place de premier plan en radiologie gériatrique, comme dans les autres disciplines de notre spécialité, grâce à son développement rapide et ses approches mini-invasives particulièrement adaptées aux patients âgés.
En témoigne :
1 – L’intervention du Pr Hicham Kobeiter dans ce numéro des JFR 365 pour nous apporter un éclairage sur ce sujet.
2 – L’enregistrement que nous partageons dans ce numéro d’une action de FMC de la délégation SFR Île-de-France de juin 2024 sur le thème de la « Place de la radiologie interventionnelle dans la prise en soins en radiologie interventionnelle de la douleur en gériatrie ».

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Q - Quelles sont vos prochaines perspectives ?

Ce sont des perspectives de nombreux projets :

Des perspectives d’organisations en imagerie gériatrique :
Le plus efficient et le plus efficace pour les radiologues impliqués dans la prise en soins des patients âgés serait d’intégrer les filières gériatriques existantes. Que sont ces filières gériatriques ? De nombreux textes (et d’actions) se sont succédé pour coordonner « l’offre de soins en direction des personnes âgées » et, à partir de 2002, des « Filières de soins gériatriques » se sont développées pour accompagner le parcours de santé des personnes âgées. La circulaire du 28 mars 2007 précise la définition et les missions des filières gériatriques. La filière gériatrique s’ancre sur un centre hospitalier dit « établissement porteur ou support ». Il n’y a pas de modèle type, bien qu’ils doivent comprendre toutes les structures nécessaires à la prise en soins des patients âgés. Ils ont un rôle de ressources dans les différents territoires, leur nombre est variable et ils fonctionnent en réseaux.

Les services d’imagerie des « établissements supports » des filières gériatriques peuvent devenir de ce fait un « pôle ressource » en imagerie gériatrique. L’ensemble des radiologues, en exercice libéral et/ou hospitalier, sont appelés à participer à la construction de ces filières gériatriques, avec à la fois le soutien des filières existantes qui plébiscitent la présence de radiologues, et du soutien de la Société Française de Radiologie par l’intermédiaire du groupe SFR-Gériatrie.

Des actions de communication diverses et variées :
La diffusion des recommandations en imagerie gériatrique intégrées dans l’ADERIM « Aide à la Demande des Examens de Radiologie et d’Imagerie Médicale » doit se poursuivre auprès des acteurs de soins concernés en ville, à l’hôpital, dans les établissements de santé dont les EHPAD…

Des actions de formation :
De nombreuses actions d’enseignement en imagerie gériatrique sont entreprises et doivent se poursuivre, auprès des radiologues et des gériatres, seniors et juniors, quel que soit le mode d’exercice, pour permettre un maillage ville-hôpital, tel qu’il existe pour les patients plus jeunes.

Enfin, nous inaugurons cette année, en lien avec le Collège des Enseignants de Radiologie de France (CERF), une formation dédiée à l’imagerie gériatrique pour les internes de radiologie en année socle, avec un enseignement transversal qui comprend des vignettes en gériatrie, en radiologie, en sociologie et d’éthique.
Nous souhaitons aussi souligner l’importance de la formation de tous les soignants (infirmiers, aide-soignants, brancardiers, ambulanciers…) aux métiers du grand âge pour améliorer la bientraitance de la prise en soins (exemple : la mobilisation en position assise versus maintien sur un brancard dans les services d’urgences).

Des publications complètent ces actions de formation :
Meyblum E, et al. Offre territoriale de soins en imagerie gériatrique. Journal d'imagerie diagnostique et interventionnelle (2022), https://doi.org/10.1016/j.jidi.2022.07.010

Enfin, les nouveaux outils digitaux, appuyés par les dernières technologies convolutionnelles en intelligence artificielle, s’intègrent peu à peu dans les explorations radiologiques du quotidien, et laissent entrevoir un rôle spécifique dans la prévention au travers de l’identification précoce d’altérations fonctionnelles à risque d’évolution – calcifications vasculaires, ostéopénie radiologique – y compris pour des examens indiqués pour des raisons spécifiques éloignées du champ de la prévention. Cette imagerie d’opportunité sera amenée à se développer dans les années à venir.

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Q - Quels sont vos principaux messages en radiogériatrie ?

1°) Retenir les caractéristiques des présentations cliniques des patients âgés, à savoir : la pauci-symptomatologie, les présentations cliniques atypiques voire trompeuses, la polypathologie, avec au final des patients très complexes !
2°) L’âge chronologique ne doit pas être le seul critère déterminant pour la prise en soins en imagerie gériatrique
3°) Chez les patients âgés, tout est urgent puisque les réserves fonctionnelles sont faibles, avec une dégradation qui peut être rapidement fatale, d’où l’importance d’un diagnostic précoce pour la prise en charge d’affections curables et donc réversibles.

Tout en nous assurant, comme toujours en radiologie, de la pertinence des examens d’imagerie proposés et des conséquences éventuelles sur la prise en soins des patients.

Q – Quels sont vos prochains rendez-vous en radiologie gériatrique ?

1°) LES JFR du 3 au 6 octobre 2025, présidés par le Pr Mathieu Lederlin, qui a choisi pour thème cette année « Les images d’une vie », en mettant en exergue la radiologie aux âges extrêmes de la vie : de la pédiatrie à la gériatrie.
Ces JFR seront l’occasion de restituer les résultats du sondage organisé en avril 2025 à propos de l’imagerie gériatrique auprès des radiologues.

2°) Les premières journées de radio-gériatrie du Kremlin-Bicêtre organisées par le Pr Olivier Meyrignac  qui se dérouleront le 12 décembre 2025.

Q - Un mot de conclusion ?

La radiologie gériatrique nous invite à adapter nos pratiques à l’aune des situations cliniques très particulières et complexes rencontrées en gériatrie, à changer de paradigme en quelque sorte par rapport à nos approches habituelles.
Le groupe SFR-Gériatrie est un groupe pluridisciplinaire de professionnels impliqués dans les enjeux du vieillissement de la population et qui porte l’ambition de poursuivre et partager ce chemin riche de sens et d’innovations avec tous nos collègues radiologues, toutes régions et tous modes d’exercice confondus !