Psychiatrie personnalisée : quand l’image guide le traitement

Par exemple, une étude utilisant l’IRM fonctionnelle au repos et lors de tâches a permis de distinguer six « biotypes » dans la dépression, chacun présentant des atteintes de circuits cérébraux distincts et des profils cliniques (cognitifs et thymiques) différents¹. Mieux encore, les réponses aux traitements variaient selon ces groupes. On peut alors imaginer qu’à l’avenir, les patients bénéficieront d’une IRM avancée aboutissant à un phénotypage précis de leur fonctionnement cérébral, offrant de précieuses informations pour choisir le meilleur traitement. C’est déjà le cas aux États-Unis, où certains produits issus de ces recherches ont reçu l’approbation de la FDA.
Mais la perspective d’une psychiatrie personnalisée ne se limite pas au diagnostic ni au choix du traitement. Dans le domaine de la neuromodulation, la délivrance du traitement s’effectue et s’effectuera de plus en plus de manière individualisée, en ciblant précisément les zones cérébrales impliquées dans la pathologie, de façon adaptée à l’anatomie unique de chaque patient.
Depuis quelques années, la psychiatrie connaît en effet un essor remarquable des traitements de neuromodulation pour les troubles résistants aux médicaments (dépression, trouble bipolaire, trouble obsessionnel compulsif, etc.). Ces traitements, proposés dans le cadre des soins courants ou d’essais cliniques, peuvent être invasifs (stimulation cérébrale profonde via des électrodes implantées chirurgicalement) ou non invasifs (stimulation corticale par champ magnétique - rTMS - à l’aide d’une antenne placée sur le crâne). L’imagerie joue déjà un rôle fondamental dans la planification et la personnalisation de ces protocoles. Un exemple marquant est la méthode SAINT (Stanford Accelerated Intelligent Neuromodulation Therapy), mise au point à Stanford en 2022 pour traiter la dépression sévère résistante². Elle consiste à améliorer le ciblage du cortex préfrontal dorsolatéral (DLPFC) en repérant, grâce à l’IRM fonctionnelle, la zone la plus anticorrélée au cortex cingulaire antérieur infra-calleux (sgACC) - région clé dans la dépression - dans le but de l’inhiber via le DLPFC. L’étude princeps rapportait un taux de rémission de 90,5 % !
Enfin, certains dispositifs de stimulation cérébrale profonde permettent d’envisager un ultime niveau de personnalisation du traitement : la modulation en temps réel en fonction des symptômes. Une équipe pionnière de l’Université de Californie, San Francisco (UCSF) a mis au point un système en « circuit fermé » (closed-loop) implanté chez des patients atteints de dépression extrêmement sévère³. Après dix jours d’analyse du signal via des électrodes implantées (SEEG), le dispositif détecte un biomarqueur de dépression (par exemple, dans l’amygdale), qui déclenche la stimulation d’une zone hyperconnectée ciblée pour son effet thérapeutique dans la dépression (le bras antérieur de la capsule interne). Cette approche soulage instantanément les symptômes, limite l’adaptation neuronale liée à une stimulation continue, réduit les effets secondaires et prolonge l’autonomie de la batterie.
En conclusion, l’imagerie cérébrale s’impose comme un levier majeur de la psychiatrie de précision, offrant la perspective de traitements véritablement individualisés et plus efficaces.
1. Tozzi, L. et al. Personalized brain circuit scores identify clinically distinct biotypes in depression and anxiety. Nat Med 30, 2076–2087 (2024).
2. Cole, E. J. et al. Stanford Accelerated Intelligent Neuromodulation Therapy for Treatment-Resistant Depression. Am J Psychiatry 177, 716–726 (2020).
3. Scangos, K. W. et al. Closed-loop neuromodulation in an individual with treatment-resistant depression. Nat Med 27, 1696–1700 (2021).
Alice Le Berre
Université Paris Cité, Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris (IPNP), Ima-Brain team, 75014 Paris, France.
GHU-Paris Psychiatrie et Neurosciences, Hôpital Sainte Anne, 75014 Paris, France.