La délégation des tâches en imagerie médicale

Délégation de tâches
La crise démographique sans précédent que traverse le monde médical dans son ensemble, et la radiologie en particulier, nous amène (ainsi que les pouvoirs publiques) à nous interroger sur la pertinence et les modalités pratiques de mise en œuvre d’une délégation de tâche, censée apporter au moins partiellement une solution à ce problème. Le modèle a déjà été initié pour les infirmières, qu’en est-il pour les manipulateurs ?

Malgré une augmentation constante des besoins en Imagerie, en rapport avec le vieillissement de la population, l’amélioration des techniques, le développement de la radiologie interventionnelle, et l’augmentation plus récente des autorisations d’installation de matériel lourd (et prochainement le changement du régime des autorisations), on constate une difficulté de plus en plus grande à recruter les manipulateurs. Cette carence aboutit déjà à une mise en concurrence des structures pour le recrutement de ces collaborateurs, avec une course à l’attractivité en particulier sur les salaires.
A l’origine de ce problème, un déficit démographique dont nous ressentons de plus en plus les effets. L’examen de la pyramide des âges des manipulateurs est aussi préoccupante que celle des radiologues. 
Un rapport récent de l’IGAS en 2021, propose d’augmenter les effectifs dans les centres de formation et d’améliorer l’attractivité du métier (au moyen en particulier de la délégation de tâche, et des protocoles de coopération).
Des échanges sont en cours entre le conseil professionnel national des radiologues G4 et celui des manipulateurs pour préciser les conditions de cette évolution des pratiques.

A ce jour, l’interprétation des images est un acte strictement médical, impliquant la responsabilité du médecin qui signe le compte-rendu. L’acquisition des images peut être déléguée au manipulateur. Les radiologues sont favorables au principe d’évolution des compétences du manipulateur. Mais celle-ci doit se faire dans un cadre clairement défini. En effet, cette limite peut être floue : la tentation est grande d’élargir les compétences par exemple à des notions de « pré-compte rendu ». Rappelons que pour les infirmières le « protocole de pratique avancée » est sanctionné par la validation d’un diplôme et confère une plus grande autonomie que le simple « protocole de coopération ».
 

Les missions du manipulateur peuvent être larges : dans l’éducation, la recherche, la prévention, le dépistage, la formation et le management des équipes, en médecine de catastrophe et d’aide humanitaire, ainsi qu’en radioprotection (PCR), ou dans le domaine de l’informatique avec le développement de l’intelligence artificielle et ses potentiels dont on ne mesure pas encore la portée, et en téléradiologie. Il en est de même en radiologie interventionnelle (diplôme d’aide opératoire), ainsi que dans l’accueil des urgences.

Il faut aussi souligner le problème posé par la spécificité du diplôme Français de manipulateur qui inclut les trois formations (diagnostic, radiothérapie et médecine nucléaire), freinant ainsi la possibilité de recrutement au sein de la communauté Européenne.

Au sein des écoles de manipulateurs, les effectifs ont bien été augmentés, de plus de 10% en moyenne. La formation se fait en France au moyen du DTS (diplôme de technicien supérieur) ou du DE (diplôme d’état). Plusieurs nouvelles écoles ont été créées. Pour autant les études portant sur les prévisions démographiques à venir démontrent que ces mesures ne suffiront pas à combler le déficit. 
Les pertes d’étudiants entre le nombre admis en première année et ceux qui sortent diplômés atteignent 30 % (alors qu’ils ne dépassaient pas 15 % autrefois),  depuis la mise en place de la sélection en terminale des élèves par la filière « parcours sup». 
De trop nombreux dossiers de candidatures sont proposés, au vu du nombre de places disponibles, avec des élèves parfois peu motivés, le tout aggravé par une baisse générale du niveau des étudiants face à un cursus assez exigeant pendant les trois années de formation (portant sur une cinquantaine de matières). 
L’augmentation des effectifs est elle-même contrainte par les moyens à mettre en œuvre, aussi bien financiers qu’humains (besoin de nouveaux enseignants, de locaux plus grands, de terrains de stage supplémentaires). 

Au même titre qu’il existe un diplôme d’aide-soignante en complément du diplôme d’infirmière, se pose la question de la création d’un diplôme intermédiaire de type « aide-manipulateur », qui pourrait s’envisager sur une formation d’une année (basée sur des notions d’accueil, de radioprotection, d’hygiène etc… et la compétence à la mise en place d’une voie d’abord en vue de l’injection d’un produit de contraste). Certaines équipes recrutent des infirmières pour remplir cette fonction, à défaut de pouvoir recruter une manipulatrice.

Enfin, le diplôme de manipulateurs a évolué et permet à certains étudiants de poursuivre leurs études au-delà du niveau master grâce aux équivalences possibles, ce qui participe à la valorisation de leur profession, mais entraine aussi une perte d’effectifs opérationnels pour les centres d’imagerie. Le profil même des étudiants a évolué, comme pour le reste de la société et leur rapport au travail évolue à chaque nouvelle génération.

Le principe de la coopération professionnelle est déjà en place au quotidien en France, en échographie. En effet, nombre de centres d’imagerie ont adopté le principe de l’échographie d’acquisition par les manipulateurs. Celle-ci doit être réalisée en présence et sous le contrôle d’un médecin, et le compte-rendu signé par ce médecin, avec le consentement du patient, selon un protocole pré-établi, par un manipulateur ayant validé son diplôme (Diplôme Universitaire National d’échographie d‘acquisition). Cette mise en place doit suivre strictement ces protocoles au risque de dérives telles qu’on peut observer au sein d’établissements qu’ils soient publiques ou privés.
Aujourd’hui, les procédures de demande de mise en place d’un tel dispositif auprès de l’ARS se sont simplifiées, et font l’objet d’une déclaration sur une plateforme par internet.

Sur le plan juridique, il faut rappeler les limites légales de la délégation de tâche. Le manipulateur travaille sous la responsabilité et la surveillance d’un médecin, pouvant intervenir immédiatement en cas de nécessité, particulièrement en cas d’injection d’un produit de contraste.
Les risques pour le manipulateur qui enfreint la loi peuvent être d’ordre civil mais aussi pénal, en particulier en cas d’exercice illégal de la médecine. Les conditions d’exercice et les champs de compétence du manipulateur sont très encadrées par les articles de loi, dont le décret paru en décembre 2016 précise aussi bien ses attributions générales, que les conditions de « recueil du signal et des images en échographie », et les conditions de sa participation aux actes interventionnels.

La délégation de tâche en imagerie est en train de se développer, aidée en cela par la crise démographique du monde médical, comme cela se produit en médecine avec les infirmières. Elle participe à l’amélioration de l’attractivité du métier de manipulateur, et optimise l’activité du radiologue dans sa pratique quotidienne. Pour autant elle nécessite une clarification de ses limites en rappelant que l’interprétation des images est un acte purement médical entrainant une responsabilité du médecin, encadrée par les textes de loi.

 

Dr FORTEL Christian