"Imagerie et génétique : quand l’éthique rapproche "

L’imagerie et la génétique sont des spécialités innovantes définitivement unies par le pont de l’éthique. Les avancées technologiques majeures dans chacun de ces domaines donnent aux radiologues et généticiens une espèce de longue vue qui voit au-delà de la question médicale posée. Ces avancées nous confrontent à un « toxic knowledge ou savoir encombrant » qui, si elles fascinent et nourrissent l’imaginaire, nous obligent à répondre à de nouvelles questions éthiques (que peut-on faire ? que doit-on faire ?). Ce regard croisé pose quelques questions et propose des pistes de réflexion.
ethique rapproche
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Imagerie et génétique peuvent dire et prédire, détecter des signaux d’une maladie déjà présente ou à venir. Ces signaux peuvent être recherchés en réponse à une question médicale posée ou détectés « par hasard », alors données incidentes sans rapport avec la question posée. La gestion de ces données incidentes est une question majeure en imagerie et génétique, qui exige des développements spécifiques.

Retenons cependant que, quelles que soient les circonstances de la détection de ces signaux, la qualité de leur interprétation, la précision de l’estimation d’un risque associé et leur utilité dans la prise en charge médicale de la personne – malade ou non – sont des valeurs essentielles à opposer au risque de se tromper et d’inquiéter inutilement.

La tension éthique est là : informer, prévenir au risque d’inquiéter. L’information en amont d’un examen d’imagerie ou génétique, et l’accompagnement de la personne qui se prête à l’examen sont alors essentiels. De nouvelles pratiques sont à construire. 

Imagerie et génétique ont en commun d’avoir connu des développements récents fulgurants grâce à la numérisation de leurs données. Ces mégaoctets stockés pour chaque examen sont un véritable terrain de jeu pour l’intelligence artificielle (IA) douée de capacités de calculs formidables ! L’IA est déjà entrée dans la pratique quotidienne et sa place ne va cesser d’augmenter. Plutôt que la regarder avec frilosité, il faut au contraire s’en emparer tout en ayant conscience de la tension éthique entre progrès (amélioration de l’analyse des signaux) et effets délétères de l’IA (trop voir avec risques d’erreurs, trop dire, trop prédire, auto-suffisance de la machine…). La qualité des données (garbage in, garbage out) et la chasse aux biais dans la collection des données sur lesquelles les algorithmes se construisent doivent être sans cesse présentes à l’esprit : le contrôle humain (ou garantie humaine) de l’IA en particulier en santé est une clé de régulation de son utilisation raisonnable et raisonnée.  

Le pouvoir de prédire, que ce soit en imagerie ou en génétique, risque d’être instrumentalisé. La génétique a de lourds antécédents dans le domaine avec les lois raciales en Europe de la première partie du XXème siècle et les génocides qui les ont suivis. S’il faut espérer que notre devoir de mémoire n’oubliera pas, il faut rester d’une grande vigilance, les tentatives discriminatoires pouvant être discrètes, subreptices. Le diagnostic de l’âge osseux à des fins médico-légales, basé sur la radiologie en est un exemple. Le danger est maintenant celui d’une IA devenue seul outil d’interprétation, sans aucun contrôle humain médical, notamment radiologique. 

Imagerie et génétique se rejoignent dans leur pratique même : le radiologue retranché derrière sa console et le généticien moléculaire derrière son écran, le malade s’éloignant quasi-immanquablement de leurs yeux. C’est précisément cet isolement de l’exercice et ce fossé qu’il faut combler. Ne désespérons pas : les réunions de concertations pluridisciplinaires qu’elles soient en présentiel ou en distanciel permettent de retrouver une pluridisciplinarité et d’agréger de nouveaux métiers. Le généticien s’est dupliqué avec le généticien clinique et le conseiller en génétique. Le radiologue a inscrit dans ses bonnes pratiques de dire l’essentiel au patient qui vient de passer un examen et d’assurer le lien avec ses collègues de la chaine de soins. Encore faut-il que ce temps court mais précieux soit préservé. Et n’oublions pas l’importance de la formation même des personnes – malades ou non – une véritable éducation à la santé qui leur permette de comprendre, d’être peut-être moins anxieux et d’adhérer aux propositions de suivi ou de soins qui leurs sont faites. 

Ainsi, devant les nouvelles possibilités formidables de l’exercice de l’imagerie et de la génétique, astreignons-nous à toujours nous interroger ensemble sur les valeurs cardinales de l’éthique médicale qui doivent les guider. 

 

 

Catherine Adamsbaum (Emérite, Université Paris Saclay, radiologue) 

Dominique Stoppa-Lyonnet (Université Paris Cité, Institut Curie, généticienne) 

Paul-Loup Weil-Dubuc (Université Paris Saclay, Espace éthique Ile de France, philosophe)