Éthique de la radiologie et de l’imagerie médicale

Retour sur la Journée « Éthique de la radiologie et de l’imagerie médicale » Organisée par l’Espace Éthique Ile-de-France en partenariat avec la SFR le Collège des Enseignants en Radiologie de France et  l’Université Sorbonne-Paris-Cité, le 18 janvier 2023 dans les locaux de la Maison de la Radiologie Paris 13.

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La journée « Éthique de la radiologie et de l’imagerie médicale » a pour but d’identifier, avec ses experts, les questions éthiques auxquelles sont confrontés les radiologues et les enjeux éthiques et épistémologiques qu’engagent la production et les usages des images en médecine.

 

1)    Traiter de l’éthique médicale nous oblige à réfléchir sur les actes réalisés et sur l’ensemble des parcours de soins des patients. Car, dans une médecine moderne, la radiologie est partout présente et s’intègre dans une chaîne de soins complexe. 

Les radiologues, parce qu’ils sont des médecins engagés dans une multitude de tâches, doivent se poser des questions ontologiques sur les missions qu’ils exercent. Que ce soit aussi bien dans le diagnostic qu’ils ont à faire, que dans les soins quand il s’agit de radiologie interventionnelle et de prévention dans le dépistage et l’imagerie prédictive. Le fait que l’imagerie intervienne aujourd’hui dans presque tous les moments du parcours de soins fait que le praticien radiologue est partout présent et actif et qu’il « doit faire ce qu’il faut sans en faire trop » comme le précise le Pr Alain Luciani.

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Partage

L’image médicale, sa production et son interprétation sont l’apanage du radiologue. Or l’image n’est jamais anodine car elle montre beaucoup et peut engager l’intimité du patient. Et, par ce qu’elle montre et produit, elle peut déclencher des actes thérapeutiques et traitements.

Il faut noter également que le médecin radiologue est en lien étroit avec d’autres praticiens d’une part et son équipe, d’autre part. Il produit les données radiologiques qui lui sont propres mais en tenant compte d’autres données biologiques, de l’histoire de la maladie, de sa connaissance du malade et de ses échanges avec ses collègues. Il doit garder à l’esprit la justification de l’acte. Est-ce que je peux exposer un patient à cet acte ? Est-il pertinent de faire cet acte ? Quelles méthodes et quels outils dois-je utiliser ? Autant d’éléments qui montrent à quel point le médecin radiologue est responsable du soin qu’il accorde à son patient, bien au-delà de la seule interprétation de l’image.

Méthodes

Nous sommes pourtant aujourd’hui confrontés à une réalité sociale, économique et médicale qui s’impose à nous. Pour effectuer une IRM, la durée moyenne d’attente est longue de 30 jours, et ce malgré l’augmentation du parc de machines. Des outils digitaux sont proposés mais ils peuvent désorganiser les soins en laissant penser que l’on peut agir sans ordre et organisation du soin. Bien entendu, poursuit Alain Luciani : « la médecine n’est pas un supermarché ». Et il faut préserver des circuits de soins simples, évalués et organisés. En posant la question du bénéfice individuel de l’acte radiologique qui est réalisé et du bénéfice populationnel pour toute la communauté. 

Une Charte pour tous

L’information du patient est essentielle. Il convient de partager avec lui, et à sa demande, les résultats d’examens et les constatations faites. Il faut que le médecin apprenne à savoir que dire « en chassant l’idée de mensonge ». 
En voulant écrire et partager une charte, les radiologues entrent dans une démarche éthique. Elle leur est apparue utile en partant de la crise de sens du métier qui « nous oblige à mieux définir le rôle du radiologue. Cette démarche ne s’entend pas dans un sens moral » précise le Pr Catherine Adamsbaum. Elle est le reflet d’une prise de conscience des problèmes dans une démarche ouverte avec des questionnements que les équipes doivent se poser.
La Charte illustre l’importance du sujet en montrant que, par exemple, poser une sonde gastrique chez un enfant est un acte médical qui peut être violent. Tout comme un examen gynécologique ou une exploration de la prostate peuvent amener le médecin à pénétrer dans l’intimité du patient. Aussi, il faut travailler sur la qualité du soin et de la relation entre le radiologue, son équipe et le patient. Catherine Adamsbaum poursuit : « il faut transformer l’interaction unilatérale en un dialogue qui s’exerce entre le praticien fort de sa fiabilité et le patient qui apporte sa confiance ».

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L’intimité

Dans son exposé, le Dr Romain Pommier engage l’ensemble de l’équipe radiologique à aborder la question de l’intime, de la pudeur, de la spiritualité, des croyances, de la vie privée mais aussi du consentement, du respect de la liberté et du choix dans le cadre du soin. 
Catherine Adamsbaum, de son côté, précise que l’examen radiologique peut comporter des palpations des membres - quand il y a par exemple des risques de fractures -, des seins, des testicules, et que l’on peut être amené à poser des sondes diverses. Dans tous les cas, l’examen doit pourvoir être interrompu quand le patient le demande.

Confiance et secret médical

Le patient a ses besoins propres mais d’un autre côté, les soignants ont leurs habitudes et leurs pratiques. Certains comportements sont justifiés au nom du soin, mais il peut y avoir des atteintes à l’intime. Les urgentistes ont travaillé sur ces questions de l’intime. La littérature est abondante et les services de radiologie peuvent s’appuyer sur leurs démarches car dans un service de radiologie comme dans les urgences, il y a beaucoup de monde. On peut y entendre des informations qui ne sont pas destinées au malade concerné, mais on peut aussi y être vu par d’autres patients dans des couloirs où la confidentialité n’est pas respectée, surtout quand le temps d‘attente n’est pas maîtrisé.

Secret médical 

L’anticipation et l’engagement de l’ensemble des équipes est nécessaire dès l’accueil et le lieu d’examen, au moment de la rédaction et de la diffusion du compte rendu. Par exemple, le respect de la pudeur du patient lors d’un examen parfois long nécessite de ne pas nécessairement dévoiler le corps dans son entier.
En revanche, et la charte le précise, la palpation est parfois nécessaire et entre dans la logique du « prendre soins ». 
Le cas de l’incidentalome est aussi important à envisager puisqu’il s’agit du repérage d’un problème ou d’une image suspecte mais que l’on ne cherchait pas. Cette découverte (ou une simple suspicion) peut survenir et faire intrusion au cours de l’acte radiologique. Les francophones qui ont plutôt une approche holistique, comme le précise Alain Luciani, sont enclins à le signaler. Mais cette démarche peut avoir des conséquences qu’il convient d’anticiper.  

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Le rôle et la posture du radiologue à travers plusieurs cas pratiques

2)    Un temps a été dédié à la résolution et la réflexion de cas pratiques posant des questions éthiques. 

Ces derniers avaient pour points communs la problématique du rôle et de la posture du radiologue envers ses patients qui doit rassurer et/ou alerter ses patients et être en lien avec le médecin traitant, notamment en cas de découverte fortuite. 

La découverte fortuite est la mise en évidence, par hasard, d’une anomalie dans le corps qui n’est pas anticipée. Le radiologue doit être en première ligne et proposer une prise en charge en lien avec le médecin traitant. 

Dans les différents cas, les patients ont fait un scanner, ont reçu des informations, mais n’ont pas eu d’échanges avec leur radiologue. Cela est source d’incompréhensions et d’angoisses pour les patients.  

Pour le Pr. Alain Luciani, une prise en charge correcte devrait être celle où l’on indique, en amont de l’examen, au patient, qu’on le recevra pour de plus amples informations après son scanner/radio/IRM, pour éviter qu’il parte de son examen sans explication et information.
 

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Le tri en radiologie

Le Pr. Catherine Adamsbaum s’est penchée sur le concept de tri, qui est le fait de séparer des éléments sur un critère sélectif, pour en tirer des questions éthiques. 
Le tri peut être égalitariste, c’est-à-dire que l’on soigne de manière équitable et impartiale.  
Il peut aussi être utilitariste, ce qui implique le fait de soigner le plus grand nombre de personnes, en se basant sur différents critères (âges, conditions économiques, etc…).
Le but est de mettre en lumière les biais qui font accepter ou refuser une demande en radiologie.

Ces questions se sont notamment posées à toute la chaîne de soin lors de la pandémie du Covid 19 :
-    Qui sauver quand on ne peut pas sauver tout le monde ?
-    Sommes-nous conscients que nous trions et quelles recommandations à visée éthique pourrions-nous proposer ? 


Le tri explicite et le tri invisible

Pour les radiologues, la possibilité de tri arrive à toutes les étapes. Ce tri peut être explicite et assumé mais il peut aussi être invisible et modifier la chaine de soins. 
Pour le tri explicite, selon le Pr. Adamsbaum le premier critère est la pertinence de la demande. Selon les symptômes, les radiologues ont un référentiel. Il doit être connu, de même que les consensus et bonnes pratiques mais cela ne signifie pas qu’il est obligé d’être suivi. Si le radiologue s’en écarte, en connaissance de cause et en son « âme et conscience », il doit pouvoir justifier son choix.

Ce tri explicite va dépendre de la forme et du fond de la demande. Il va y avoir « une négociation en termes de bénéfice-risque ».
Le second tri explicite est lié à la possibilité technique de réaliser l’examen dans la structure et de disposer ou pas des moyens humains nécessaires pour sa réalisation.

Il va ensuite y avoir un tri dit « invisible » ou « microtri » avec des critères qui restent ouverts, subjectifs et qui peuvent varier d’une personne à une autre : par exemple, la qualité relationnelle du radiologue avec le médecin demandeur, l’activité spécifique du radiologue, la temporalité de la demande (nuit profonde, jour férié, état de fatigue, …). Ce sont des facteurs dont les personnes ne sont pas forcément conscientes. 

Un tri justifié ?

La question reste ouverte. Le Pr. Adamsbaum synthétise en indiquant que le triage en radiologie est « une pratique médicale ordinaire qui mobilise des enjeux médicaux, mais aussi affectifs qui obéissent donc à des règles explicites et implicites ».  Le triage peut produire par ailleurs beaucoup de savoir et peut générer des bonnes économies. 
Il est indispensable de créer les conditions de la confiance. Cela nécessite donc de la transparence. Il est nécessaire que les radiologues soient conscients des phénomènes de triage dans leur quotidien et qu’ils sachent expliquer les choix qui ont été faits à un moment donné.

Le tri, la phase cachée d’un refus non-dit

Le Dr. Mostafa Mokhtari s’est penché sur la notion de tri, en tant qu’ancien Responsable du service de réanimation néonatale de Bicêtre. 
Le triage est une pratique courante en réanimation qui permet de prioriser. Toutefois, de son point de vue « c’est la phase cachée d’un refus qui est non-dit ».
La complexité réside dans le fait que les médecins sont formés pour soigner et non pour se retrouver dans une situation où ils refusent des soins à un patient. 

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Prioriser les plus vulnérables ?

On entend souvent qu’il faut prioriser les femmes et les enfants d’abord car, sociétalement, on en a une représentation particulière. Or ce n’est pas forcément la logique qui est retenue quand est venu le temps de prioriser, notamment en phase de pénurie. Le but est de maximiser l’offre de soins sans la généraliser. 
Toutes les sociétés savantes ont établi leurs propres critères (bon patient, cas rare etc…).


Le tri et les décisions collégiales

Le Dr. Mostafa Mokhtari explique qu’en réanimation néonatale, on est rarement confronté au même tri qu’en radiologie. Le tri ne se fait pas de manière aussi binaire. La réanimation néonatale est fondée sur un principe : l’a priori à agir.  On va agir pour soigner les enfants. L’objectif est de donner toutes les chances à tous les enfants sans se poser de questions, c’est une vérité de raison et non de fait. C’est accepter de façon conventionnelle et non discutable. La particularité est que les informations de départ ne sont pas fiables car les bébés ne parlent pas. Il est donc nécessaire de faire des explorations supplémentaires comme la radiologie. Cela va permettre d’avoir une information claire qui va permettre ensuite au médecin de communiquer auprès des parents. 

La décision de faire une exploration supplémentaire implique l’accord de plusieurs acteurs, elle est donc collégiale. 
Le Dr. Mokhtari indique qu’en théorie les décisions collégiales devraient être prises de manière libres et égales. Il ne pense pas qu’en pratique ce soit le cas. En effet, chacune des parties prenantes a ses propres contraintes. Le réanimateur qui répond à la demande des parents, et le radiologue qui peut avoir d’autres urgences à traiter : « C’est une négociation ». 
Il conclut ses propos en indiquant que « le tri est une manière de gérer les ressources dédiées à la santé, or ce sont les politiques qui le créent et c’est au personnel soignant de l’assumer ».

L’Intelligence Artificielle (IA), un nouvel outil participant aux décisions médicales

Joël Peretz, Ingénieur, doctorant à Institut Polytechnique de Paris, partage ses réflexions sur le tri et l’IA. En effet des outils techniques ont été développés avec des méthodes de machine learning. « Ces machines learning sont devenus des outils d’apprentissage et de collaboration, utilisés dans le secteur de la santé ». 

On peut s’interroger sur :
-     Comment est effectué le tri par les IA ?
-     Comment le tri permet une meilleure compréhension d’une IA ?

Il distingue :
-    Le tri intrinsèque
-    Le tri extrinsèque 

Le tri intrinsèque de l’IA

Joël Peretz indique que le tri intrinsèque d’une IA découle de la manière dont il a été conçu. Lors de la conception, il peut y avoir des biais qui peuvent avoir des conséquences sociétales. Selon lui, les informations qui sont rentrées dans les algorithmes sont des miroirs déformants du micro-tri et du tri effectif qui est fait par la pratique médicale. 
Il existe toute une communauté de recherche qui essaye d’apporter de la transparence à la conception des algorithmes.
Actuellement, une seule évaluation est faite de l’IA, il est nécessaire d’avoir une évaluation suivie de l’algorithme pour éviter qu’il y ait des dérives.

Il va plus loin en se questionnant : « L’IA est le reflet des pratiques médicales. Est-ce qu’il n’y a pas un suivi à faire aussi de la pratique médicale globale ? »

Le tri extrinsèque de l’IA

Cela revient à la façon dont sont utilisés les outils. Ce n’est pas neutre, parfois elle peut diverger de la manière dont les concepteurs l’avaient imaginée et cela amène d’autres questions. 
En radiologie, cela va probablement permettre au radiologue de diminuer le volume d’information mais cela implique que certaines personnes vont passer à travers les mailles. Est-ce qu’il faut former plus de radiologues ou se permet-on de perdre plus de patients ?
De même que faire quand l’IA surpasse ou est en désaccord avec les connaissances de l’utilisateur ? Qui est responsable ?

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Charlotte Dècle et Pascal Maurel, Société ORTUS, pour la SFR